Bonjour,
J'ai participé aujourd'hui à la journée "Agriculture, Développement et
Changement Climatique" organisée par le Cirad et l'IDDRI (Science Po-Institut du
Développement Durable et des Relations Internationales"). Voici ce que j'en ai
retenu, je pense qu'il y a plusieurs aspects susceptibles de concerner
l'aquaculture.
Le changement climatique est aujourd'hui au minimum un élément de contexte qui nous
met sous contrainte. Ce sera un des deux thèmes de l'UE pour fédérer la recherche
européenne, c'est un des méga-programme du CGIAR, et ce sera la priorité de l'ANR
française. Il ne fait pas partie des 6 axes prioritaires du Cirad mais Patrick Caron, le
Directeur de la Recherche et de la Stratégie, a dit qu'il s'interrogeait sur
l'opportunité de créer un 7eme axe, dans la mesure où le changement climatique est
déjà présent dans les 6 autres. Il faut toutefois faire attention à l'effet
d'aubaine (essayer de vendre ce qui est fait depuis toujours avec le chapeau
"changement climatique").
M. Colombier a présenté l'évolution des négociations climatiques. Il a rappelé que
dans une négociation internationale, on négocie deux choses: 1/ Une vision commune du
problème et des actions à entreprendre 2/ Les conditions de mise en oeuvre collective et
efficace de ces actions, leurs financements (qui est responsable et doit payer ?) et les
bénéfices/gains de l'action collective. Tout a commencé par l'article 2 de la
Convention de Rio. Paradoxalement, l'objectif affiché est moins environnemental que de
développement, puisqu'il engage les nations à assurer la sécurité alimentaire de la
planète. Au cours du cycle de Kyoto, les négociations ont porté sur des engagements
globaux (gaz à effet de serre etc.) mais pas du tout sur des engagements sectoriels
(agriculture etc.). Du reste, l'agriculture est mal vue dans les négociations climat
et d'ailleurs, le LULUCF (Usage des Sols pour le Stockage du Carbone) est optionnel
dans Kyoto. La raison est double: 1/ métrologie (c'est difficile à mesurer) et 2/
place des forêts (opposition entre les pays qui privilégient la réforme du système
énergétique et ceux qui veulent continuer sans réforme en achetant des crédits sur le
marché carbone). Toutefois, les négociations prévoyaient le développement d'une
métrologie LULUCF censée être adoptée à Copenhague... sauf que Copenhague a été un
échec... Copenhague prévoyait aussi:
1/ la montée de l'engagement des PED, dans la mesure ou le statut de certains BRICs
(Brésil-Russie-Inde-Chine) était devenu intenable
2/ la montée des questions sectorielles
3/ la fascination pour le marché carbone, qui commençait à fonctionner et offrait la
perspective de permettre le financement du système
4/ le retour de la déforestation dans la négociation.
Copenhague a été un échec, et la question actuelle est "est-ce que la négociation va
reprendre ?" avec manifestement des perspectives pessimistes. D'après Colombier,
on a assisté à un changement de la nature de la négociation:
1/ L'objectif est peu/pas ambitieux. L'objectif de 2 degrés masque l'absence
d'objectif d'émission
2/ Ça a été une occasion ratée de révision des engagements vers quelque chose de plus
réaliste
3/ Aujourd'hui, c'est chacun pour soi via le processus de Pledge & Review: les
pays se contentent d'informer la communauté internationale de leurs efforts, il
n'y a plus d'engagement pris ni d'effort collectif
4/ Les pays du sud ont vivement dénoncé l'hypocrisie du financement du marché du
carbone
5/ L'avantage, c'est que l'approche est plus réaliste qu'avant
JC Hourcade a présenté le GIEC. Sa présentation s'est surtout bornée à rappeler sa
mission : fournir un "cadrage" basé sur l'état de la science. Ainsi, il
n'existe pas de scénario du GIEC, qui se contente de lister les scénarios des autres.
Le processus de rédaction est résumé dans la formule: "agree to disagree": tout
le monde doit être d'accord, même sur les désaccords, sinon, il n'y a pas
publication. Un chapitre est voté en séance plénière où tous les pays font valoir leur
point de vue.
M. Dingkuhn a présenté la réforme de la recherche agricole mondiale, qui résultent de deux
constats:
- l'urgence face à des challenges existenciels
- l'insatisfaction des bailleurs de fond mécontents de la mauvaise intégration des
efforts de la recherche, perçue comme inefficace
Au niveau européen, la réponse s'appelle JPI (Joint Programming Initiative)
"Changement Climatique & Food Security" (CCAFS). Les JPI se distinguent des
FP7 par l'origine du financement, apporté par les pays qui participent au JPI et non
par Bruxelles qui apporte juste de l'argent incitatif. L'implémentation est le
fait des agences nationales. La stratégie de la France dans ce JPI découle du rapport
ADAGE de l'ANR. En gros, la France soutient l'adaptation au Changement Climatique
alors que l'Allemagne soutient la mitigation du changement climatique (atténuation
mais le terme mitigation semble désormais utilisé couramment en français). Toutefois,
cette dichotomie adaptation/mitigation, pourtant archi-classique dès qu'on parle de
Changement Climatique, est apparue artificielle à plusieurs reprises dans la journée. A
noter une autre initiative: la programmation trilatérale Allemagne-France-Afrique.
Au niveau international, c'est le CGIAR qui mène la danse, avec une réforme en 2
vagues. La première a débuté dans les années 2000 par les "Challenges
Programmes" (CP) qui visaient l'ouverture du système CGIAR au reste du monde. Les
CP reposaient sur une programmation de la recherche sur 10 ans et un financement destiné à
financer l'ouverture du système CGIAR. Le Challenge Programme "Changement
Climatique & Food Security" (CCAFS) vient d'être validé (mai 2010). Il couvre
3 régions (Afrique Ouest/Afrique Est/Bassin Gange) et se décline en 6 thématiques:
Diagnostic/Politiques/Partenariat/Adaptation (CV)/Adaptation (CC)/Mitigation. La deuxième
vague d'évolution des CGIAR, en cours actuellement, repose sur les
"Mega-Programmes". A la différence des CP qui visaient le reste du monde, les MP
sont une nouvelle couche de gouvernance interne. La grosse différence, c'est au niveau
du financement: l'argent est destiné aux centres et non plus à l'ouverture
("Centers first"). Toutefois, les partenaires du CGIAR peuvent participer à la
gouvernance et à la programmation thématique des MP. Le CP CCAFS va devenir un MP, ce qui
aura pour effet de l'élargir à de nouvelles régions en 2011 puis 2012. Est-ce que le
WFC participe au MP CCAFS en Afrique ?
Bruno Locatelli a présenté une vision globale des enjeux de l'adaptation société et
écosystème. Citation: "We need adaptation just as much as mitigation" ("On
a autant besoin d'adaptation que d'atténuation") Martin Parry. Tous
s'accordent sur le fait qu'il faille s'attacher aux vulnérabilités, mais avec
des points de vue différents. Il existe deux grandes approches:
- celle de la communauté des risques et désastres naturels qui s'attache aux aspects
biophysiques de la vulnérabilité. Leurs outils sont des modèles, ils élaborent des
scénarios sur le long terme (2100)
- celle de la communauté des spécialistes des politiques et de la géographie humaine, qui
s'attache à la pauvreté. Leurs outils sont la démarche participative pour identifier
les processus d'adaptation au niveau local, sur un pas de temps beaucoup plus réduit.
La vulnérabilité étant la conjonction de l'exposition E par la sensibilité S modulo la
capacité d'adaptation CA, les premiers s'intéressent surtout à E et S, alors que
les seconds étudient CA. Il y a donc complémentarité, mais c'est pas facile de
combiner les deux approches. Il existe un consensus sur l'impérieuse nécessité de
prendre en compte les écosystèmes dans la réduction des vulnérabilité (Ecosystem-based
adaptation).
Conclusion de la journée par Patrick Caron: il y a 4 enjeux scientifiques:
- connaissance des processus
- conception de systèmes innovants en dépassant la dichotomie adaptation/atténuation
- intégration de l'environnement
- lien avec les autres secteurs d'activité (notamment échanges commerciaux)
Il y a eu d'autres présentations sur les perceptions, l'élevage, les cultures
etc., mais un peu longues à résumer ici.
Bien amicalement
Lionel