Un article du journal Le Monde d'hier, qui cite JF Baroiller
Minilien: <http://minilien.com/?1WiaRIVFi8>
Lien direct: <http://www.lemonde.fr/planete/article/2008/11/05/ces-
males-qui-deviennent-femelles-et-inversement_1115151_3244.html>
Ces mâles qui deviennent femelles et inversement
LE MONDE | 05.11.08 | 14h25
L'un des effets les plus étonnants du changement climatique pourrait
être de chambouler la vie sexuelle des poissons. Sur les 27 000
espèces peuplant les océans, les fleuves et les rivières, environ 10
% sont naturellement hermaphrodites et peuvent changer de sexe,
généralement pour remplacer, en cas de disparition, le reproducteur
ou la reproductrice dominants de la communauté.
Chez la majorité des autres espèces, en revanche, un individu naît
mâle ou femelle et conserve ce sexe toute sa vie. Mais des facteurs
environnementaux peuvent altérer cette détermination génétique,
indique Jean-François Baroiller, spécialiste de la biologie des
poissons au Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (Cirad).
A commencer par les polluants. Certaines substances chimiques
utilisées dans l'industrie (papeterie, cosmétiques, détergents) ou
l'agriculture (insecticides, pesticides), dont la structure
moléculaire est proche de celles des hormones mâles (androgènes) ou
femelles (oestrogènes), peuvent modifier la différenciation sexuelle
des poissons. Deux cas d'inversion de sexe sont avérés. Celui du
saumon chinook (Oncorhynchus tshawytscha) du fleuve américain
Columbia, où des individus génétiquement masculins (porteurs du
chromosome Y) présentent pourtant un phénotype (ovaire) féminin. Et
celui du tilapia (Oreochromis niloticus) d'Afrique, dont certains
sujets génétiquement féminins possèdent des testicules et se
reproduisent comme mâles.
Le plus souvent, on observe une altération n'allant pas jusqu'au
changement de sexe : décoloration, développement chez les femelles
d'une nageoire caudale typique des mâles, modification des orifices
et des organes génitaux, etc. Des études récentes montrent que
l'effet de ces polluants peut se manifester sur plusieurs générations
et affecter ainsi des poissons qui n'ont pas été directement contaminés.
RISQUE DE DISPARITION
"Dans la plupart des cas, les concentrations actuelles de polluants
dans les milieux naturels ne sont pas suffisantes pour provoquer une
inversion complète de sexe", précise M. Baroiller. Le risque existe
pourtant : en laboratoire, avec des concentrations un peu plus
élevées, les chercheurs parviennent à un tel résultat.
Autre facteur de transsexualité : la température. Les aquaculteurs
savent que dans les élevages de bars, une température précoce plus
basse permet d'obtenir une plus grande proportion de femelles, que
leur meilleure croissance rend économiquement plus intéressantes. Et
que dans les élevages de tilapias au contraire, les mâles, plus
recherchés, sont favorisés par des températures précoces plus élevées.
"L'influence de la température sur la différenciation sexuelle semble
se manifester chez un grand nombre d'espèces", souligne le chercheur.
Avec une amplitude variable : un réchauffement de 5o C à 6o C est
nécessaire pour modifier le sexe de certains poissons, alors qu'un
écart de 1°C suffit pour d'autres. Conjugué à la pollution des eaux,
le réchauffement planétaire pourrait finir par "bouleverser
dangereusement l'équilibre reproductif". Avec, à terme, "un risque de
disparition de certaines populations, voire de certaines espèces".
Pierre Le Hir
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