Bonjour à tous,
Voici une (rapide) traduction d'un article de l'initiative LINK
(Learning, INnovation and Knowledge) de l'UNU-FAO disponible sur
internet, qui me semble alimenter une réflexion utile et devrait
susciter des réactions d'un certain nombre d'entre nous (bailleurs,
chercheurs, décideurs etc.) sur les échecs et enjeux de la recherche
pour le développement. L'original en anglais est disponible ici :
http://innovationstudies.org/images/stories/linkfebmarch2009bulletin.pdf
EST-CE QU'AMELIORER LA COMMUNICATION DE LA RECHERCHE PERMETTRA
D'AMELIORER L'INNOVATION ET LES IMPACTS POUR LE DEVELOPPEMENT ?
UN NOUVEAU DEPART
Après de longues années de marasme, la recherche pour le développement
semble promise à un avenir plus radieux puisqu'un grand nombre de
donneurs bilatéraux et d'organismes philanthropiques annoncent des
financements nouveaux et importants.
Pourtant, historiquement, le recours à la recherche comme outil du
développement a donné des résultats ambigus. Le problème n'est pas que
la recherche entreprise au nom du développement n'ait pas été bonne.
Le problème a plutôt été l'utilisation limitée des technologies,
résultats et données issues de la recherche. Bien sûr, il y a eu des
succès, mais il y a eu aussi beaucoup de recherche qui ne semble pas
avoir débouché sur des résultats tangibles. Le résultat, c'est que
beaucoup de bailleurs ont perdu foi dans la recherche, et c'est
seulement ces dernières années que son importance a été redécouverte.
Ceux qui financent la recherche pour le développement sont très
attentifs au problème des impacts, et veulent éviter les erreurs du
passé. Les donneurs bilatéraux, en particulier, qui ont promis à leurs
tutelles politiques que l'argent investi déboucherait sur des
résultats tangibles, font des efforts laborieux pour que ce soit le
cas. Un de ces efforts porte actuellement sur la communication de la
recherche -c'est à dire, faire en sorte que les résultats de la
recherche soient mieux communiqués aux utilisateurs potentiels. Par
exemple, dans sa nouvelle stratégie 2008-2013, le département pour le
développement international du Royaume Uni (DFID) stipule que les
programmes de recherche doivent dédier au moins 10% de leur budget à
la communication de la recherche.
Mais est-ce que la communication est vraiment le lien qui manque entre
recherche et développement ?
Pour répondre à cette question, il faut d'abord se demander ce que
l'on entend par recherche, sa justification et la nature changeante de
son importance pour le développement.
POURQUOI AVONS-NOUS BESOIN DE RECHERCHE ?
La recherche est une forme particulière de production de connaissance
qui a recours à une étude systématique pour établir des faits et
aboutir à de nouvelles conclusions. Elle inclut la recherche
scientifique (étudier les aspects du monde bio-physique) et la
recherche sociale (étudier les différents aspects de l'activité
humaine). La recherche publique est réalisée pour quatre raisons:
1. La curiosité : comprendre les choses et les processus. Cela peut
déboucher sur des informations utiles à la société par sa contribution
au réservoir de connaissances universelles.
2. La résolution de problème aux frontières de la connaissance : un
problème ou une opportunité existent, mais il n'y a pas encore de
réponse ou de solution. Par exemple, le problème du sida.
3. L'adaptation d'une connaissance globale à un pays ou à une
situation spécifique donnée. Les solutions existent mais la recherche
doit les adapter à un pays ou un contexte spécifique.
4. Le diagnostic ou l'analyse d'un phénomène spécifique à un pays ou
un contexte donné. Par exemple, suivre la dynamique épidémiologique
d'une maladie, évaluer la capacité innovante, ou analyser la capacité
à utiliser le réservoir de connaissances globales pour l'adapter à un
contexte local (prendre en compte les leçons du passé sur le contrôle
des maladies ou la privatisation de la recherche).
Bien qu'elle soit souvent accusée de s'égarer dans la catégorie
motivée par la curiosité, la recherche pour le développement rentre
dans les 3 dernières catégories, où le désir d'établir des liens entre
la recherche et le bénéfice social est explicite.
QU'EST-CE QUI EST DIFFERENT CETTE FOIS-CI ?
Historiquement, la recherche pour le développement s'est intéressée à
la recherche classique sur les biens publics, à la frontière des
connaissances. Par exemple, le développement de variétés de céréales à
haut rendement dans les années 1960, ou la mise au point d'un vaccin
thermostable contre la peste bovine dans les années 1990. De manière
alternative, elle s'est aussi intéressée à la recherche sur
l'adaptation du transfert des technologies (par exemple la
mécanisation de l'agriculture). Ces dernières années, elle a commencé
à se concentrer un peu plus sur la quatrième raison indiquée
précédemment, en s'attachant à comprendre les contextes locaux dans le
but de renforcer la capacité locale à participer à l'économie globale
de la connaissance.
Bien qu'on puisse s'interroger sur la capacité, de manière générale,
de la recherche pour le développement à prendre en compte les leçons
du passé, on peut quand même regarder comment les approches ont évolué
avec le temps.
La recherche du type "frontière des connaissances" reste importante et
inclue la recherche de solutions technologiques globales telles que
la quête pour un vaccin contre la trypanosomiase du bétail, ou les
déficits de connaissance globale sur par exemple, le suivi et la
prédiction des impacts du réchauffement climatique.
Pourtant, un changement majeur porte sur l'importance croissante des
aspects politiques (NdT: c'est le mot "policy" qui est employé partout
pour véhiculer les notions de politiques publiques, gouvernance,
contexte institutionnel, société etc. J'utilise le mot "politique"
faute de mieux) dans les thèmes de la recherche pour le développement.
Cela résulte en partie de la reconnaissance du rôle critique joué par
le contexte politique sur les processus de développement (voir
l'article de Jeroen Dijkman
http://innovationstudies.org/images/stories/pro-propolicy.pdf)
. Par exemple, la recherche médicale est tout aussi concernée par le
dispositif de délivrance des soins qu'il l'est par la compréhension
des maladies et la mise au point de traitements. Cette composante
politique croissante s'explique aussi par le fait que les aspects
techniques ne peuvent plus être dissociés des aspects politiques et
sociaux. Par exemple, la diffusion des techniques de transfert de
gènes pour la résistance aux maladies des cultures ne peut avoir lieu
sans élaborer des politiques de contrôle et donc, sans prendre en
compte les préoccupations sociales et éthiques.
FAISONS SIMPLE
Si le fait est que ces questions politiques et institutionnelles
deviennent de plus en plus importantes dans la recherche pour le
développement, alors, il n'est même pas nécessaire de préciser que
pour un avoir un impact, la recherche pour le développement va devoir
être bien plus efficace dans ce domaine. Or, le changement politique
est, de manière notoire, difficile à obtenir. Les processus sont le
plus souvent opaques et le rôle des résultats de la recherche dans la
formulation des politiques est au mieux, peu clair, et le plus
souvent, invisible. Le projet Recherche et Politique pour le
Développement de l'Overseas Development Institute (RAPID) est un de
ceux qui ont étudié ce thème et il en a conclu que les facteurs de
succès déterminants sont:
- la pertinence des travaux pour les problèmes politiques
- la communication personnelle continue entre les acteurs-clés des
aspects politiques
- une explication simple des découvertes et de leurs implications pour
les aspects politiques (Ensor et al., 2008)
Cela devrait certainement vouloir dire qu'il faut accorder plus
d'importance à la communication de la recherche. Mais est-ce que cela
est suffisant ? La réponse est aux confins de la question plus vaste
de la relation entre la recherche et l'innovation -ou cette dernière
doit être comprise comme l'utilisation de la connaissance pour obtenir
des résultats d'importance sociale et économique significatifs.
QUEL EST LE ROLE DE LA RECHERCHE DANS L'INNOVATION ?
Pour de nombreuses personnes, une des choses les plus contre-
intuitives en matière de lien entre recherche et innovation est que la
recherche formelle est bien moins importante que ce que l'on imagine
couramment, et cela, quel que soit le domaine concerné -agriculture,
santé, industrie (voir Martin Bell, 2007). Bien sûr, il y a des
domaines où l'innovation a besoin de recherche intensive -par exemple,
pour les médicaments. Mais dans l'ensemble, l'innovation se met en
place grâce à la combinaison de différents types d'informations
(structure du marché, processus, empirisme/implicite) et pas seulement
grâce à la recherche; elle est généralement poussée par le marché, les
politiques publiques ou les opportunités politiques, ou le contexte,
plutôt que par les découvertes de la recherche; elle est généralement
caractérisée par une succession d'améliorations graduelles plutôt que
par des changements hyper-médiatiques et des découvertes capitales.
La recherche peut produire des inventions globalement nouvelles. Mais
l'innovation, parce qu'elle implique la mise en pratique de la
connaissance, doit être conçue au regard de son utilisation et de ce
fait, elle a une dimension locale très spécifique. Nous disposons
désormais d'une grande quantité de preuves pour affirmer que la
recherche est mieux organisée lorsqu'elle est une composante insérée
dans les réseaux denses et désordonnés qui fonctionnent dans des
contextes spécifiques et relient producteurs et utilisateurs de
connaissances, ainsi que les initiateurs du changement. Ceci est tout
aussi vrai pour l'innovation technologique que pour les innovations
politiques.
Cette conception de l'innovation a reçu de nombreuses appellations
telles que systèmes innovants, innovation ouverte, mode 2 knowledge
production. Le message est pourtant le même: la recherche ne doit pas
être conduite dans sa tour d'ivoire, mais elle doit être enchâssée
dans les processus des entrepreneurs, des décideurs, des politiques
publiques auxquelles elle cherche à apporter une contribution. Cela
est particulièrement vrai pour la recherche pour le développement, où
l'obtention d'un impact est primordial et où le changement est souvent
contesté par différents groupes d'intérêts.
DEUX MODES DE RECHERCHE
On peut illustrer cet aspect par les résultats de deux modes
d'organisation de la recherche sur les systèmes de santé du Népal.
Dans le premier dispositif, un consortium de chercheurs britannico-
népalais a étudié les modèles de partenariat privé-public dans la
délivrance du système de santé au Népal. L'émergence d'hôpitaux privés
et de cabinets d'infirmiers a rendu ce modèle possible et le projet a
étudié cela au travers du traitement de la tuberculose en association
avec des partenaires locaux. Le projet a été relativement réussi, et
il y a eu de l'intérêt pour ce modèle dans le cas de la tuberculose.
Toutefois, les chercheurs (de manière bien compréhensible), n'avaient
pas l'autorité en matière de politique, la capacité de plaidoyer ou
l'accès aux décideurs requis pour leur permettre d'étendre leur modèle
à d'autres maladies comme le sida, pour lesquelles il était tout aussi
applicable. La recherche était de grande qualité mais son impact est
resté relativement limité à quelques sites pilotes.
Dans le deuxième cas, la recherche a été réalisée dans le cadre d'un
projet de développement des soins de santé au Népal -le programme DFID
Santé maternelle. Il est rapidement apparu que la non-utilisation des
systèmes de santé au cours de la grossesse et de l'accouchement était
une cause majeure de mortalité. Pour mieux le comprendre, le programme
a lancé une recherche pour déterminer le coût de l'accès au système de
santé lors de la grossesse et de l'accouchement. Les résultats ont
montré que ces coûts étaient bien supérieurs à ce que l'on croyait
généralement et a conclu que la gratuité des soins pour les femmes
enceintes permettrait de réduire la mortalité de manière
significative, à un coût raisonnable pour le gouvernement.
Malheureusement, les résultats de cette recherche n'ont pas à eux
seuls suffit pour induire un changement de politique au Népal.
Toutefois, grâce à une capacité de plaidoyer prudente, et à la chance,
un appui politique à la gratuité des soins pour les femmes enceintes
est apparu et le DFID (un bailleur très respecté et faisant autorité
au Népal) a pu être en mesure de soutenir les politiques publiques
avec les résultats de la recherche. Les soins de santé gratuits pour
les femmes enceintes ont été décrétés par le gouvernement du Népal le
14 janvier 2009 (Ensor, Clapham, Prasai Prasai, 2008).
RECHERCHE OU DEVELOPPEMENT ?
Il semble que cet exemple, mais aussi les nombreuses preuves qui
existent sur la relation entre recherche et innovation, pointent
toutes dans la même direction. Si vous voulez que la recherche ait un
impact, elle doit être enchâssée dans les contextes de développement
dans lesquels ses résultats seront utilisés. Le contenu politique
d'importance croissante dans la recherche pour le développement rend
cela doublement important. Il semble que les donneurs bilatéraux et
multilatéraux ont un positionnement unique pour mettre une telle
insertion de la recherche dans leurs programmes d'assistance au
développement, et pour bénéficier d'un effet de levier en terme de
changement induit par la recherche.
Ce dernier point soulève le plus gros problème de la tradition de
nombreux bailleurs de fond, qui distinguent recherche et
développement. Dans cette tradition, la recherche est dévolue à la
production de biens publics internationaux, dont les résultats ne sont
pas destinés à résoudre des problèmes ou soutenir des contextes
locaux, mais plutôt à contribuer à alimenter la connaissance globale.
Mais si notre étude de cas népalaise a un intérêt du point de vue de
l'impact, c'est bien pour montrer qu'il est atteint en s'insérant dans
l'arène politique locale et pas nécessairement en augmentant la
connaissance universelle et en se contentant de la diffuser largement.
Il est peut être temps que les bailleurs de fond revisitent leurs
traditions et conceptions de la recherche.
COMMUNICATION OU ENCHASSEMENT ?
Bien sûr, comme toujours, la réponse à cette devinette ne saurait être
l'un ou l'autre. Il faudra plus de communication de la recherche si
les décideurs politiques ont besoin de plus nouveaux résultats et de
nouvelles preuves. La communication de la recherche a aussi d'autres
fonctions : relations publiques, prise de conscience, partage de
l'information dans des communautés de pratiques, soutien aux réseaux,
alimentation des centres d'information etc. De manière similaire,
toute la recherche ne doit/peut pas être enchâssée de la manière que
nous le décrivons. Certains problèmes doivent être compris de manière
globale (par exemple, le changement climatique, le prix des aliments,
les maladies animales) et la recherche pour le développement est bien
placée pour y contribuer.
Néanmoins, si les tenants de la recherche pour le développement
veulent démontrer l'impact, ils devront connecter la recherche avec
les contextes de développement local et les processus politiques
nationaux. Ils devront aussi trouver des moyens pour que les résultats
de la recherche influencent les décideurs. Pour l'instant, le lien
manquant dans ce processus n'est pas la mauvaise communication, mais
des processus politiques peu puissants et une appréciation limitée de
leur dimension politique. Cela, en retour, fait référence à un besoin
plus important de renforcer la capacité nationale d'innovation et de
garantir que les décideurs, les chercheurs et les entrepreneurs
travaillent de manière plus intégrée et cohérente. Cela prendra du
temps, mais tant que les efforts de recherche pour le développement ne
reconnaîtront pas leur rôle dans le renforcement des compétences,
l'investissement de recherche, comme par le passé, continuera à
échouer à atteindre ses promesses de développement.
--
http://agents.cirad.fr/index.php/lionel.dabbadie