Bonjour à tous,
Voici une (rapide) traduction d'un article de l'initiative LINK (Learning, INnovation and Knowledge) de l'UNU-FAO disponible sur internet, qui me semble alimenter une réflexion utile et devrait susciter des réactions d'un certain nombre d'entre nous (bailleurs, chercheurs, décideurs etc.) sur les échecs et enjeux de la recherche pour le développement. L'original en anglais est disponible ici :
EST-CE QU'AMELIORER LA COMMUNICATION DE LA RECHERCHE PERMETTRA D'AMELIORER L'INNOVATION ET LES IMPACTS POUR LE DEVELOPPEMENT ?
UN NOUVEAU DEPART
Après de longues années de marasme, la recherche pour le développement semble promise à un avenir plus radieux puisqu'un grand nombre de donneurs bilatéraux et d'organismes philanthropiques annoncent des financements nouveaux et importants.
Pourtant, historiquement, le recours à la recherche comme outil du développement a donné des résultats ambigus. Le problème n'est pas que la recherche entreprise au nom du développement n'ait pas été bonne. Le problème a plutôt été l'utilisation limitée des technologies, résultats et données issues de la recherche. Bien sûr, il y a eu des succès, mais il y a eu aussi beaucoup de recherche qui ne semble pas avoir débouché sur des résultats tangibles. Le résultat, c'est que beaucoup de bailleurs ont perdu foi dans la recherche, et c'est seulement ces dernières années que son importance a été redécouverte.
Ceux qui financent la recherche pour le développement sont très attentifs au problème des impacts, et veulent éviter les erreurs du passé. Les donneurs bilatéraux, en particulier, qui ont promis à leurs tutelles politiques que l'argent investi déboucherait sur des résultats tangibles, font des efforts laborieux pour que ce soit le cas. Un de ces efforts porte actuellement sur la communication de la recherche -c'est à dire, faire en sorte que les résultats de la recherche soient mieux communiqués aux utilisateurs potentiels. Par exemple, dans sa nouvelle stratégie 2008-2013, le département pour le développement international du Royaume Uni (DFID) stipule que les programmes de recherche doivent dédier au moins 10% de leur budget à la communication de la recherche.
Mais est-ce que la communication est vraiment le lien qui manque entre recherche et développement ?
Pour répondre à cette question, il faut d'abord se demander ce que l'on entend par recherche, sa justification et la nature changeante de son importance pour le développement.
POURQUOI AVONS-NOUS BESOIN DE RECHERCHE ?
La recherche est une forme particulière de production de connaissance qui a recours à une étude systématique pour établir des faits et aboutir à de nouvelles conclusions. Elle inclut la recherche scientifique (étudier les aspects du monde bio-physique) et la recherche sociale (étudier les différents aspects de l'activité humaine). La recherche publique est réalisée pour quatre raisons:
1. La curiosité : comprendre les choses et les processus. Cela peut déboucher sur des informations utiles à la société par sa contribution au réservoir de connaissances universelles.
2. La résolution de problème aux frontières de la connaissance : un problème ou une opportunité existent, mais il n'y a pas encore de réponse ou de solution. Par exemple, le problème du sida.
3. L'adaptation d'une connaissance globale à un pays ou à une situation spécifique donnée. Les solutions existent mais la recherche doit les adapter à un pays ou un contexte spécifique.
4. Le diagnostic ou l'analyse d'un phénomène spécifique à un pays ou un contexte donné. Par exemple, suivre la dynamique épidémiologique d'une maladie, évaluer la capacité innovante, ou analyser la capacité à utiliser le réservoir de connaissances globales pour l'adapter à un contexte local (prendre en compte les leçons du passé sur le contrôle des maladies ou la privatisation de la recherche).
Bien qu'elle soit souvent accusée de s'égarer dans la catégorie motivée par la curiosité, la recherche pour le développement rentre dans les 3 dernières catégories, où le désir d'établir des liens entre la recherche et le bénéfice social est explicite.
QU'EST-CE QUI EST DIFFERENT CETTE FOIS-CI ?
Historiquement, la recherche pour le développement s'est intéressée à la recherche classique sur les biens publics, à la frontière des connaissances. Par exemple, le développement de variétés de céréales à haut rendement dans les années 1960, ou la mise au point d'un vaccin thermostable contre la peste bovine dans les années 1990. De manière alternative, elle s'est aussi intéressée à la recherche sur l'adaptation du transfert des technologies (par exemple la mécanisation de l'agriculture). Ces dernières années, elle a commencé à se concentrer un peu plus sur la quatrième raison indiquée précédemment, en s'attachant à comprendre les contextes locaux dans le but de renforcer la capacité locale à participer à l'économie globale de la connaissance.
Bien qu'on puisse s'interroger sur la capacité, de manière générale, de la recherche pour le développement à prendre en compte les leçons du passé, on peut quand même regarder comment les approches ont évolué avec le temps.
La recherche du type "frontière des connaissances" reste importante et inclue la recherche de solutions technologiques globales telles que la quête pour un vaccin contre la trypanosomiase du bétail, ou les déficits de connaissance globale sur par exemple, le suivi et la prédiction des impacts du réchauffement climatique.
Pourtant, un changement majeur porte sur l'importance croissante des aspects politiques (NdT: c'est le mot "policy" qui est employé partout pour véhiculer les notions de politiques publiques, gouvernance, contexte institutionnel, société etc. J'utilise le mot "politique" faute de mieux) dans les thèmes de la recherche pour le développement. Cela résulte en partie de la reconnaissance du rôle critique joué par le contexte politique sur les processus de développement (voir l'article de Jeroen Dijkman
http://innovationstudies.org/images/stories/pro-propolicy.pdf). Par exemple, la recherche médicale est tout aussi concernée par le dispositif de délivrance des soins qu'il l'est par la compréhension des maladies et la mise au point de traitements. Cette composante politique croissante s'explique aussi par le fait que les aspects techniques ne peuvent plus être dissociés des aspects politiques et sociaux. Par exemple, la diffusion des techniques de transfert de gènes pour la résistance aux maladies des cultures ne peut avoir lieu sans élaborer des politiques de contrôle et donc, sans prendre en compte les préoccupations sociales et éthiques.
FAISONS SIMPLE
Si le fait est que ces questions politiques et institutionnelles deviennent de plus en plus importantes dans la recherche pour le développement, alors, il n'est même pas nécessaire de préciser que pour un avoir un impact, la recherche pour le développement va devoir être bien plus efficace dans ce domaine. Or, le changement politique est, de manière notoire, difficile à obtenir. Les processus sont le plus souvent opaques et le rôle des résultats de la recherche dans la formulation des politiques est au mieux, peu clair, et le plus souvent, invisible. Le projet Recherche et Politique pour le Développement de l'Overseas Development Institute (RAPID) est un de ceux qui ont étudié ce thème et il en a conclu que les facteurs de succès déterminants sont:
- la pertinence des travaux pour les problèmes politiques
- la communication personnelle continue entre les acteurs-clés des aspects politiques
- une explication simple des découvertes et de leurs implications pour les aspects politiques (Ensor et al., 2008)
Cela devrait certainement vouloir dire qu'il faut accorder plus d'importance à la communication de la recherche. Mais est-ce que cela est suffisant ? La réponse est aux confins de la question plus vaste de la relation entre la recherche et l'innovation -ou cette dernière doit être comprise comme l'utilisation de la connaissance pour obtenir des résultats d'importance sociale et économique significatifs.
QUEL EST LE ROLE DE LA RECHERCHE DANS L'INNOVATION ?
Pour de nombreuses personnes, une des choses les plus contre-intuitives en matière de lien entre recherche et innovation est que la recherche formelle est bien moins importante que ce que l'on imagine couramment, et cela, quel que soit le domaine concerné -agriculture, santé, industrie (voir Martin Bell, 2007). Bien sûr, il y a des domaines où l'innovation a besoin de recherche intensive -par exemple, pour les médicaments. Mais dans l'ensemble, l'innovation se met en place grâce à la combinaison de différents types d'informations (structure du marché, processus, empirisme/implicite) et pas seulement grâce à la recherche; elle est généralement poussée par le marché, les politiques publiques ou les opportunités politiques, ou le contexte, plutôt que par les découvertes de la recherche; elle est généralement caractérisée par une succession d'améliorations graduelles plutôt que par des changements hyper-médiatiques et des découvertes capitales.
La recherche peut produire des inventions globalement nouvelles. Mais l'innovation, parce qu'elle implique la mise en pratique de la connaissance, doit être conçue au regard de son utilisation et de ce fait, elle a une dimension locale très spécifique. Nous disposons désormais d'une grande quantité de preuves pour affirmer que la recherche est mieux organisée lorsqu'elle est une composante insérée dans les réseaux denses et désordonnés qui fonctionnent dans des contextes spécifiques et relient producteurs et utilisateurs de connaissances, ainsi que les initiateurs du changement. Ceci est tout aussi vrai pour l'innovation technologique que pour les innovations politiques.
Cette conception de l'innovation a reçu de nombreuses appellations telles que systèmes innovants, innovation ouverte, mode 2 knowledge production. Le message est pourtant le même: la recherche ne doit pas être conduite dans sa tour d'ivoire, mais elle doit être enchâssée dans les processus des entrepreneurs, des décideurs, des politiques publiques auxquelles elle cherche à apporter une contribution. Cela est particulièrement vrai pour la recherche pour le développement, où l'obtention d'un impact est primordial et où le changement est souvent contesté par différents groupes d'intérêts.
DEUX MODES DE RECHERCHE
On peut illustrer cet aspect par les résultats de deux modes d'organisation de la recherche sur les systèmes de santé du Népal.
Dans le premier dispositif, un consortium de chercheurs britannico-népalais a étudié les modèles de partenariat privé-public dans la délivrance du système de santé au Népal. L'émergence d'hôpitaux privés et de cabinets d'infirmiers a rendu ce modèle possible et le projet a étudié cela au travers du traitement de la tuberculose en association avec des partenaires locaux. Le projet a été relativement réussi, et il y a eu de l'intérêt pour ce modèle dans le cas de la tuberculose. Toutefois, les chercheurs (de manière bien compréhensible), n'avaient pas l'autorité en matière de politique, la capacité de plaidoyer ou l'accès aux décideurs requis pour leur permettre d'étendre leur modèle à d'autres maladies comme le sida, pour lesquelles il était tout aussi applicable. La recherche était de grande qualité mais son impact est resté relativement limité à quelques sites pilotes.
Dans le deuxième cas, la recherche a été réalisée dans le cadre d'un projet de développement des soins de santé au Népal -le programme DFID Santé maternelle. Il est rapidement apparu que la non-utilisation des systèmes de santé au cours de la grossesse et de l'accouchement était une cause majeure de mortalité. Pour mieux le comprendre, le programme a lancé une recherche pour déterminer le coût de l'accès au système de santé lors de la grossesse et de l'accouchement. Les résultats ont montré que ces coûts étaient bien supérieurs à ce que l'on croyait généralement et a conclu que la gratuité des soins pour les femmes enceintes permettrait de réduire la mortalité de manière significative, à un coût raisonnable pour le gouvernement. Malheureusement, les résultats de cette recherche n'ont pas à eux seuls suffit pour induire un changement de politique au Népal. Toutefois, grâce à une capacité de plaidoyer prudente, et à la chance, un appui politique à la gratuité des soins pour les femmes enceintes est apparu et le DFID (un bailleur très respecté et faisant autorité au Népal) a pu être en mesure de soutenir les politiques publiques avec les résultats de la recherche. Les soins de santé gratuits pour les femmes enceintes ont été décrétés par le gouvernement du Népal le 14 janvier 2009 (Ensor, Clapham, Prasai Prasai, 2008).
RECHERCHE OU DEVELOPPEMENT ?
Il semble que cet exemple, mais aussi les nombreuses preuves qui existent sur la relation entre recherche et innovation, pointent toutes dans la même direction. Si vous voulez que la recherche ait un impact, elle doit être enchâssée dans les contextes de développement dans lesquels ses résultats seront utilisés. Le contenu politique d'importance croissante dans la recherche pour le développement rend cela doublement important. Il semble que les donneurs bilatéraux et multilatéraux ont un positionnement unique pour mettre une telle insertion de la recherche dans leurs programmes d'assistance au développement, et pour bénéficier d'un effet de levier en terme de changement induit par la recherche.
Ce dernier point soulève le plus gros problème de la tradition de nombreux bailleurs de fond, qui distinguent recherche et développement. Dans cette tradition, la recherche est dévolue à la production de biens publics internationaux, dont les résultats ne sont pas destinés à résoudre des problèmes ou soutenir des contextes locaux, mais plutôt à contribuer à alimenter la connaissance globale. Mais si notre étude de cas népalaise a un intérêt du point de vue de l'impact, c'est bien pour montrer qu'il est atteint en s'insérant dans l'arène politique locale et pas nécessairement en augmentant la connaissance universelle et en se contentant de la diffuser largement. Il est peut être temps que les bailleurs de fond revisitent leurs traditions et conceptions de la recherche.
COMMUNICATION OU ENCHASSEMENT ?
Bien sûr, comme toujours, la réponse à cette devinette ne saurait être l'un ou l'autre. Il faudra plus de communication de la recherche si les décideurs politiques ont besoin de plus nouveaux résultats et de nouvelles preuves. La communication de la recherche a aussi d'autres fonctions : relations publiques, prise de conscience, partage de l'information dans des communautés de pratiques, soutien aux réseaux, alimentation des centres d'information etc. De manière similaire, toute la recherche ne doit/peut pas être enchâssée de la manière que nous le décrivons. Certains problèmes doivent être compris de manière globale (par exemple, le changement climatique, le prix des aliments, les maladies animales) et la recherche pour le développement est bien placée pour y contribuer.
Néanmoins, si les tenants de la recherche pour le développement veulent démontrer l'impact, ils devront connecter la recherche avec les contextes de développement local et les processus politiques nationaux. Ils devront aussi trouver des moyens pour que les résultats de la recherche influencent les décideurs. Pour l'instant, le lien manquant dans ce processus n'est pas la mauvaise communication, mais des processus politiques peu puissants et une appréciation limitée de leur dimension politique. Cela, en retour, fait référence à un besoin plus important de renforcer la capacité nationale d'innovation et de garantir que les décideurs, les chercheurs et les entrepreneurs travaillent de manière plus intégrée et cohérente. Cela prendra du temps, mais tant que les efforts de recherche pour le développement ne reconnaîtront pas leur rôle dans le renforcement des compétences, l'investissement de recherche, comme par le passé, continuera à échouer à atteindre ses promesses de développement.