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Depuis quelques semaines, le poisson chinchard ou poisson d’Abidjan a disparu des
assiettes. Un nouveau poisson de la famille du mérou l’a remplacé sur le marché. Dans les
assiettes des ménages, ce changement ne passe pas bien. Malgré elles, les familles
consomment ce nouveau poisson que leur imposent pratiquement les importateurs. Nous avons
voulu en comprendre davantage à travers cette interview que nous a accordée Harouna Dia,
promoteur des poissonneries Dia, un des gros importateurs de la place.
Vous êtes un des principaux distributeurs de poisson au Burkina, qu’est-ce qui explique
cette pénurie du poisson chinchard et cette invasion dans le même temps du mérou ?
Le nouveau poisson dont vous parlez est de la famille du mérou. Il est de chair blanche et
sans écailles. C’est un poisson dit noble. Il est effectivement différent du poisson
chinchard, appelé encore poisson d’Abidjan. Ce poisson- là est la seule espèce adoptée et
consommée au Burkina depuis 20 ans. Et dès qu’il manque, on dit qu’il n’y a pas de
poisson. Sa commercialisation était stable pendant tout ce temps. Aujourd’hui, nous avons
des contingences sur le marché mondial. Nous avons principalement deux contraintes. Il y a
le premier qui est bien connu de tous, ce sont les changements climatiques qui affectent
la reproduction et la migration du poisson qui suivent les courants marins et se
reproduisent dans des cuvettes bien déterminées. Donc, tout ce qui affecte les
températures affecte également le milieu marin. La deuxième contrainte est la pression sur
les ressources du fait de la croissance de la demande. Les poissons sont des ressources
tarissables. On a l’exemple de nos barrages qui étaient très poissonneux, il y a quelques
années. Actuellement, nos carpes d’eau douce sont très rares. Elles coûtaient à peine 300
F CFA le kilo. On est loin de ce prix aujourd’hui. Des pays comme le Ghana et la Côte
d’ivoire qui étaient d’importants producteurs de poisson en importent aujourd’hui du fait
de la rareté des ressources dans leurs eaux. Dans quelques années, ne soyez pas surpris de
voir un pays comme le Sénégal importer du poisson. Le poisson est en en voie de
disparition, c’est un fait et les pays d’Asie qui l’ont compris sont en train de
développer la pisciculture comme alternative. Un pays comme le Chili injectait, bon an mal
an, 300 000 tonnes de poisson sur le marché africain. Avec le tremblement de terre qu’il a
subi, il n’a pas pu honorer son offre. Il n’a mis sur le marché que 100 000 tonnes. Il y a
donc un gap et tout le monde s’est rabattu sur le Nigeria et la Mauritanie. Ce dernier
pays est en difficulté et avec la crise financière, il n’y a pas assez d’armateurs. Pour
nous importateurs, c’est la course aux poissons et les exportateurs en profitent pour
monter les prix, puisque le poisson devient rare. La concurrence se fait désormais au
niveau de l’achat. Si tu hésites de prendre, un autre pays te devance. C’est devenu comme
cela. Nous sommes désormais dans une logique d’enchères. Il faut craindre que le commun
des Burkinabè n’arrive plus à s’offrir ce poisson qu’il aime tant, le chinchard. Il
atteint des niveaux de prix jamais égalés.
A quel prix le vendez- vous actuellement ?
Le kilo en gros a été majoré de 100 F CFA, c’est beaucoup selon certaines personnes, mais
pour un poisson dont le prix depuis 20 ans est resté stable, nous pensons que c’est peu.
Parce que si on appliquait la réalité des prix, ce serait plus que 100 F FCA. Le plus dur
reste à venir. Le mérou est à 450 F CFA le kilo.
Pourquoi n’appliquez- vous pas la réalité des prix ?
Sentant venir la pression sur le marché, nous avons constitué des stocks pour passer
l’année. Comme je vous l’ai dit tantôt, le plus dur reste à venir. Par anticipation, nous
avons également cherché sur le marché du poisson quelle espèce a les mêmes
caractéristiques que le chinchard : sans d’écaille et avec peu d’arêtes. Il est de la
famille des mérous et nous l’avons acquis en Irlande. Nous l’avons eu à un bon prix qui
permettait de le vendre moins cher que le chinchard avant la crise. Avec ces deux espèces
sur le marché, nos clients ont le choix. Ceux qui veulent toujours consommer le chinchard
vont débourser un peu plus d’argent et ceux qui ne peuvent pas, peuvent se rabattre sur le
mérou qui est un poisson de qualité pas des moindres.
Vous l’avez mis sur le marché, il y a quelques temps de cela, comment se comporte t-il ?
Pour les besoins de promotion, nous n’avons pas mis tout de suite nos stocks de chinchard
sur le marché, histoire de faire découvrir le mérou à nos clients. C’est de cette façon
que nous avons pu recueillir les réactions de la clientèle. Il s’achète parce que son prix
correspond au pouvoir d’achat des populations. Il est vrai que les impressions sont
divergentes sur ce poisson.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les réactions des gens ?
Vous savez, les gens ne connaissent que le poisson d’Abidjan. Ils n’ont jamais vu ce
poisson-là. Il y a eu des théories selon lesquelles ce n’était pas du poisson. Ce poisson
est un poisson noble, contrairement au poisson d’Abidjan qui est un peu acide et dont
personne n’en voulait au début. Pour la petite histoire, ce sont les Russes qui se sont
battus pour le maintenir sur le marché africain. Celui-là , c’est un poison européen,
produit et conservé selon les normes européennes et de meilleure qualité nutritionnelle.
Il y a des gens qui l’ont adopté, tout dépend de comment on le prépare ou on l’assaisonne
pour la cuisson. A Ouagadougou, il est bien vendu, dans les grands centres comme Kaya,
Kongoussi et un peu à Ouahigouya. Par contre, dans les villages, il passe plus facilement
parce que ce n’est pas toujours la même façon de préparer le poisson. Malheureusement, il
y a les conservateurs, les gens qui préfèrent leur traditionnel chinchard. Si on s’en
tient à cette volonté, il est clair que tout le monde ne pourra pas consommer du poisson à
long terme. Notre stratégie est de permettre aux gens de consommer selon leurs ressources.
Il y a certes une différence de goût, mais il faut que les Burkinabè retiennent que ce
poisson est un poisson de qualité.
Commercialement parlant, le mérou s’écoule–t-il bien ?
Oui, mais pas au prix que nous pensions. Il est à 450 F CFA le kilo contrairement au
chinchard qui se vend à 700 francs le kilo. Pour nous, c’est presqu’ un cadeau à ce
prix-là parce que le Nigeria est venu tout rafler sur le marché juste après parce que ce
pays a 100 millions d’habitants à nourrir. Nos projections s’étendaient jusqu’en février
pour tenir le coup et éviter une forte tension sur les prix. Nous avons combiné nos stocks
en commandant le mérou et le chinchard. Avec la pression sur les ressources halieutiques,
la tendance est à la diversification des offres à la clientèle. C’est ce que nous essayons
de faire. Je comprends ceux qui sont dépaysés par le goût, qui ne se retrouvent plus dans
leurs assiettes. Malheureusement, il faudra commencer à s’y habituer. Nous comptons sur
les femmes pour faire rentrer ce poisson dans les habitudes alimentaires de la
population.
Comment se portait le commerce du poisson avant cette crise ?
On dirait bien. Le poisson est devenu au fil des ans un produit de grande consommation.
Malheureusement, on constate une baisse de la consommation parce que les prix flambent un
peu partout à cause des raisons que j’ai évoquées plus haut. Notre problème, c’est la
diminution des ressources alors que la demande ne fait que s’accroître. En tant
qu’importateurs, nous faisons attention à ne pas faire venir du poisson hors de portée des
clients. Nous avons l’expérience et le recul nécessaire pour cela, surtout quand il s’agit
d’introduire une nouvelle espèce de poisson.
Il y a par exemple l’introduction de l’espèce chinchard du Chili. Les consommateurs
étaient très réticents au départ. Mais après, tout le monde s’est adapté. Quand nous
avions introduit le maquereau, les gens ont dit que c’était un serpent. Aujourd’hui, il se
vend sans problème. En matière de goûts, les habitudes sont difficiles à faire changer, je
le reconnais. C’est plutôt psychologique et surtout une question de temps. Il faut que les
gens comprennent qu’il faut avoir l’esprit ouvert. Nous allons chercher le poisson très
loin et s’il n’est pas abordable pour la grande majorité de nos clients tout en conservant
la qualité requise, nous laissons tomber. Il ne sert à rien de ramener une espèce de
poisson que personne ne pourra consommer ni acheter. Nous veillons à ce que le poisson qui
est capturé en Irlande soit consommé à Ouagadougou dans les mêmes conditions de capture au
niveau de l’assiette du Burkinabè sans qu’il soit altéré. C’est cela notre métier. Il
demande des investissements en chambre froide et en camion pour maintenir la chaîne du
froid. Ce qui n’est pas aisé dans un pays sahélien enclavé, car nécessitant de la
logistique et du temps.
Quelles sont vos perspectives avec la situation que vous venez de peindre ?
Notre priorité, c’est de stabiliser le marché afin que les gens continuent de consommer du
poisson. Nous veillerons à ce que les prix soient à leur portée. Le défi pour nous, c’est
de chercher, partout dans le monde, du poisson à la portée de notre clientèle. Il y a
douze ans, il y avait du poisson mais pas de cette qualité que nous avons aujourd’hui.
Quand nous sommes arrivés, nous avons cassé les prix et c’est maintenant que le prix du
poison a atteint celui d’il y a douze ans.
Chinchard ou Mérou : à chacun selon ses moyens
Le Burkina, pays sahélien, est plus connu pour la qualité de la viande de son bétail et
ses fameux poulets bicyclettes. On y consomme en principe plus de viande. Mais depuis une
dizaine d’années, les Burkinabè se sont mis aux poissons grâce à l’importation, la
production nationale étant faible. Pas moins de 20 000 tonnes de poissons importés par an
contre seulement 10 500 t de production nationale. Ces chiffres qui datent de 2007 sont
peut-être dépassés aujourd’hui. La production nationale n’arrive pas à se maintenir malgré
de réels efforts pour structurer la pêche autour des principaux barrages. Les carpes de
Bagré ou de la Kompienga, très prisées sont devenues des produits de luxe. La majorité des
consommateurs se rabattent sur les poissons surgelés, importés dont "le poisson
d’Abidjan", le fameux Chinchard qui se fait également rare ces jours –ci à cause de
la demande croissante et de la rareté de cette variété, à en croire Harouna DIA, un des
principaux importateurs du pays. Cette variété est la plus consommée dans les ménages.
Sans le dire directement, ce professionnel du secteur pense que les prix sont susceptibles
de grimper dans les mois ou années à venir. Les consommateurs qui tiennent à leur poisson
d’Abidjan devront y mettre le prix, à défaut, il faudrait s’habituer à de nouvelles
variétés. C’est ce qui se passe actuellement avec la nouvelle variété de poisson importé
d’Irlande. Ce poisson est moins cher mais pour le goût, c’est le dépaysement garanti. Les
consommateurs ne l’apprécient guère. Mais pour les professionnels c’est une attitude
normale. L’adoption se fera avec le temps. Le poisson représente une bonne source de
protéine mais la consommation moyenne au Burkina reste faible, soit 2,31 kg par an contre
16 Kg/an au niveau mondial.
Ce qu’en pensent les consommateurs
L’introduction d’une nouvelle variété de poisson, le mérou, au Burkina Faso a provoqué une
réaction des consommateurs. Nous avons promené notre micro et voilà ce qu’ils en pensent.
Fatimata Soudré (vendeuse de riz à Koulouba) : Je préfère le chinchard car c’est le
poisson que mes clients aiment. Le jour où j’ai le mérou comme poisson, les clients se
plaignent et je fais moins de bénéfices. Le chinchard est plus agréable, plus doux que le
mérou. Le mérou ne ressemble pas à du poisson, tu peux manger ce poisson sans être
satisfait de son goût. Les clients n’aiment pas le mérou même s’il est moins cher. En tout
cas, je préfère le chinchard car il m’apporte plus de bénéfices.
Madame Kabibi : J’aime bien manger le chinchard car c’est un poisson auquel je suis
habitué. Je ne connais pas le mérou. Moi, ma préférence est pour le chinchard.
Madame Fatou Ouédraogo (étudiante) : Je préfère le mérou. J’ai eu l’occasion de goûter les
deux variétés et ma préférence est pour le mérou. Ce n’est pas une question de prix mais
une question de goût. Tout dépend de la préférence de tout un chacun. J’utilise le mérou
pour ma cuisine car il a un goût qui m’enchante.
Mariam Ira (vendeuse d’attiéké à la Cité an II) : Des deux espèces de poissons, je préfère
le chinchard car il a un bon goût. Le mérou prend trop de temps à la cuisson, il absorbe
trop d’huile et il n’est pas facile à cuire. Par contre, les clients préfèrent le
chinchard. Le mérou est moins cher mais les clients n’aiment pas son goût. Il se rétrécit
à la cuisson.
Sarata Tapsoba (vendeuse d’attieké à Bons-Yaar) : Je préfère le chinchard car tous mes
clients aiment ce poisson. Le jour où il y a le mérou au menu, certains clients achètent
l’attiéké sans le poisson. Or, le poison non vendu ne m’arrange pas. C’est pour cette
raison que je préfère le chinchard car c’est le meilleur poisson. C’est vrai que le mérou
est moins cher comparativement au chinchard mais les clients ne le paient pas. Or, pour
faire des bénéfices, il faut satisfaire les clients. Donc, je préfère acheter le chinchard
car, ne dit-on pas que le client est roi ?
Amidou Nana (gérant de poissonnerie au secteur 29) : Nous ne vendons pas le mérou mais
nous vendons le chinchard et la carpe comme poissons importés. Le mérou est l’affaire des
hôtels. Comme nous ne travaillons pas avec les hôtels, nous ne l’achetons pas. Je n’ai pas
encore mangé ce poisson donc je ne peux le vendre à mes clients. Je ne peux vendre ce que
je n’ai pas encore consommé.
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