Sélingué : LA PISCICULTURE SE JETTE À L'EAU
l'Essor n°16288 du - 2008-09-19 08:00:00
<http://www.essor.gov.ml/cgi-bin/view_article.pl?id=20033>
Le projet de développement des ressources halieutiques dans le lac de
la localité produit des alevins et tente de convaincre les pêcheurs à
se reconvertir en pisciculteurs
La pêche représente une belle opportunité économique pour les pays
africains à condition de sortir de l'artisanat pour développer des
mécanismes modernes de production comme la pisciculture ou l'élevage
des poissons en eau douce.
Les premières expériences de pisciculture ont eu lieu à Sélingué en
1985. Cette activité pleine de promesses est développée par l'Office
de développement rural de Sélingué (ODRS) à travers le Projet de
développement des ressources halieutiques dans le lac de Sélingué
(PDRHLS).
La localité abrite une station d'alevinage destinée à la production
des alevins de certaines espèces de poissons. Mamadou Sangaré, le
responsable chargé de la gestion de cette station, explique que pour
la reproduction, les géniteurs mâles et femelles sont mis ensemble
dans des étangs de reproduction. Au bout de 2 à 3 mois, les alevins
font leur apparition. Un étang peut produire près de 5000 alevins.
Selon les informations recueillies à l'ODRS, la station d'alevinage
de Sélingué a une capacité de production annuelle de 60.000 alevins.
Sans atteindre ce niveau de production, la station parvient à couvrir
les besoins d'approvisionnement en alevins. Les spécialistes relèvent
même parfois, une surproduction. Lorsque c'est le cas, le surplus est
déversé dans le lac de Sélingué pour l'empoissonner.
DIMENSIONS IMPRESSIONNANTES. Après les bacs de transit, les alevins
sont acheminés dans des étangs de pre-grossissement pour atteindre
une certaine taille avant d'être placés dans des étangs de
grossissement. Ici, ils peuvent atteindre des dimensions
impressionnantes avant d'être proposés à la vente. Mais il faut
préciser que le grossissement des poissons est une activité
subsidiaire car la mission première de la station est de produire des
alevins. En termes clairs, elle n'a pas vocation de pratiquer la
pisciculture marchande.
A la station d'alevinage, on élève essentiellement deux types de
poisson : le tilapia nilotita ou "tèbèn" et le clarias ou silure
"manocô". Ce dernier est une espèce de régulation qui ne se reproduit
pas en captivité. La station d'alevinage de Sélingué a mis en
chantier une écloserie pour la production artificielle d'alevins de
clarias. Cette méthode a l'avantage de produire des alevins dans un
milieu totalement maîtrisé avec un taux de survie un peu plus élevé.
L'élevage de poissons à Sélingué, indique Mamadou Sangaré, se fait
dans deux types d'étang : le deblai-remblai et l'étang-remblai. Le
responsable de la station d'alevinage explique à ce propos qu'une des
difficultés techniques de sa structure demeure la nature du sol qui,
en certains endroits, est perméable. Difficile dans ces conditions de
conserver l'eau dans les étangs pendant longtemps. Un bon étang,
indiquent les spécialistes, se caractérise par les digues, le système
d'alimentation et de vidange mais surtout par l'assiette (le fonds).
Lorsqu'on veut récupérer les alevins pour la commercialisation ou
pour empoissonner d'autres étangs ou le lac, il suffira d'ouvrir
simplement les moines, c'est-à-dire les ouvrages de vidanges pour
évacuer l'eau des étangs.
Harouna Traoré, un ingénieur des eaux et forêt à l'ODRS, énumère
quelques difficultés auxquelles fait face la station d'alevinage. Il
évoque à ce propos le problème du transport qui doit se faire avec
des équipements appropriés notamment les aérateurs pour éviter que
les alevins ne périssent en cours de route surtout sur de longues
distances. Cette contrainte ne sera peut-être qu'un mauvais souvenir
dans un avenir proche puisqu'il est prévu la fourniture des
équipements adéquats dans le cadre de la rénovation de la station qui
a déjà débuté.
La "cueillette" dans les étangs de grossissement se fait deux fois
par an. Pour le tilapia nilotita par exemple, le cycle de
grossissement est semestriel. Quant à la production d'alevins, elle
est mensuelle.
Une composante essentielle de la pisciculture réside dans
l'alimentation des poissons. Les spécialistes conseillent un régime
alimentaire spécial composé de farine basse de riz, de tourteaux de
coton, de farine de poissons. Sangaré précise que le composé
alimentaire est reparti en 70% de farine basse, 20% de tourteaux de
coton et 10% de farine de poisson. A cette alimentation, on peut
ajouter des déchets ménagers (des restes de repas), du sang recueilli
dans les abattoirs. L'alimentation doit aussi être fonction de la
biomasse, c'est-à-dire du poids des alevins qui sont nourris deux
fois par jour à des heures précises : le matin entre 9 et 10 heures
et l'après-midi entre 14 et 15 heures.
L'absence d'un laboratoire pour le contrôle de la qualité physico-
chimique de l'eau des étangs, est aujourd'hui une lacune criarde pour
la station. La construction de cette unité est en cours d'achèvement
au niveau de la station d'alevinage de Sélingué.
MEILLEURS AU GOUT ? La pisciculture est une activité économiquement
rentable. Les pécheurs commencent à s'y intéresser. Le coordinateur
des ressources halieutiques du lac de Sélingué, Hinna Haïdara,
confirme l'engouement des pêcheurs pour la pisciculture et salue ce
palliatif à l'exploitation abusive du lac par les pêcheurs.
A l'ODRS, le projet composante développement de la pisciculture est
destiné à réhabiliter la station d'alevinage mais aussi à construire
4 ares par étang en moyenne qui vont être donnés en gérance libre à
des privés. La station d'alevinage de Sélingué est parfois ignorée
des pisciculteurs. Des actions sont menées avec la direction
nationale de l'élevage pour recenser les pisciculteurs qui pourraient
être ravitaillés au besoin en alevins par la station.
Hinna Haïdara constate que la station d'alevinage de Sélingué est
très souvent sollicitée pour empoissonner les mares. Il cite à ce
propos des exemples de mares à Sikasso, Kolondiéba et Yanfolila et
bien d'autres localités. Le coordinateur du PDRHLS souligne également
que sa structure a obtenu le financement pour un test de pisciculture
en cage.
La pisciculture intensive permettra, de son point de vue, à nos
pisciculteurs d'atteindre, dans de bonnes conditions, des résultats
plus satisfaisants. Un pays voisin, le Burkina en l'occurrence,
dispose d'une expertise avérée dans ce domaine. Une équipe de l'ODRS
s'y est rendue dans le cadre d'un voyage d'études pour s'inspirer de
cet exemple.
Des consommateurs estiment que les poissons de pêche sont meilleurs
au goût que les poissons d'élevage. Les responsables de l'ODRS
notamment ceux du projet de développement des ressources halieutiques
dans le lac de Sélingué, ne partagent pas cette opinion. Les poissons
de pêche, expliquent-ils, sont omnivores alors que la qualité de la
nourriture est contrôlée pour ceux de l'élevage.
En tout état de cause la pisciculture est une filière porteuse. Les
spécialistes rappellent que le gain est plus important que la dépense
en la matière. Pour les commandes d'alevins qu'elle reçoit d'un peu
partout dans le pays, la station d'alevinage de Sélingué vend un
alevin de tilapia non sexué à 40 Fcfa. Si l'alevin est sexué, son
prix passe à 60 Fcfa.
Les responsables de l'ODRS ont l'espoir de voir notre pays mettre
définitivement le cap sur la promotion de la pisciculture qui est une
des branches de l'aquaculture. Le Mali, comme dans nombre d'autres
domaines, dispose d'un énorme potentiel en la matière qui ne demande
qu'à être exploité dans une vision économique.
B. DOUMBIA