Bonjour,
Suite au récent message posté sur la liste, je vous propose un débat extrait du site web
http://farmlandgrab.org/14283, qui montre deux points de vue qui s'opposent sur la
question. Je rappelle aussi le récent rapport publié par la FAO/IIED/FIDA (en anglais) sur
les modèles économiques qui pourraient permettre aux petits producteurs de tirer profit
des gros investissement agricoles (« Accaparement des terres » ou opportunité de
développement ?):
http://www.fao.org/docrep/012/al297e/al297e00.pdf
Le rapport est en anglais mais en cliquant sur les liens ci-dessous, vous trouverez une
communication en français de l'un des auteurs, Lorenzo Cotula ainsi qu'une note
synthétique de l'IIED:
http://tetis.teledetection.fr/index.php?option=com_docman&task=doc_down…
http://www.iied.org/pubs/pdfs/17069FIIED.pdf
Bien amicalement
Lionel
Faut-il ouvrir les terres africaines aux investisseurs agricoles étrangers ?
Je vous propose un débat interessant entre deux économistes africains, James Shikwati,
directeur de l’Inter Region Network au Kenya, qui publie
AfricanExecutive.com et Franklin
Cudjoe, directeur du think tank IMANI au Ghana et rédacteur
d’AfricanLiberty.org, autour
de la question de savoir si les terres africaines doivent être ouvertes à des baux pour
être cultivées par des investisseurs étrangers. L’argument est que cela pourrait faire
reculer la faim en Afrique.
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James Shikwati : Les Pays riches utilisent la famine pour prendre les fermiers africains
en otage
Un délégué lors d’une récente réunion des Propriétaires Européens a posé la question : «
Est-il déplacé d’avoir des fermiers européens qui s’installent dans les pays pauvres pour
y nourrir ceux qui ont faim ? ». Envoyer des fermiers mercenaires en Afrique sous les
guises de la lutte contre la faim est totalement déplacé. La famine est utilisée pour
détenir le « milliard le plus pauvre » de l’Afrique en otage par les nations riches.
Les économies développées et émergeantes sont prêtes, une fois encore. La Corée du Sud
lorgne sur un million d’hectares à Madagascar ; le Qatar cherche 100 000 hectares au Kenya
; l’Arabie saoudite vise 9000 hectares au Soudan ; une firme basée à New York voudrait
louer 400 000 hectares au sud Soudan ; une firme britannique a acheté 45 000 hectares en
Tanzanie ; une firme suédoise négocie un bail pour 100 000 hectares et la liste continue…
Tout cet accaparement cupide de terres passe sous des qualificatifs aseptisés tel qu’ «
investissement étranger » ou encore « développement de terres pour accroître les
rendements ». La réinvention de l’ancienne stratégie coloniale qui vint en Afrique au nom
de la « civilisation » et aujourd’hui au nom du défi de la famine, ne permet pas de
répondre à la question de l’échec des africains à nourrir eux-mêmes leur continent en
premier lieu.
Il y a des cas où les communautés avec des technologies de culture supérieures louent les
terres à l’Etat sur le continent. Mais on ne reconnaît pas les conflits entre les
communautés et leur Etat, qui ont mené à ces larges parcelles de terre « oisive ». Dans
les cas où les propriétaires africains louent la terre, les analystes ne cherchent pas à
savoir pourquoi les banques internationales sont promptes à financer les extérieurs avec
des prêts agricoles pour « nourrir » l’Afrique et produire des biocarburants, plutôt que
de financer les entrepreneurs locaux.
Les baux extérieurs dans les pays pauvres traitent le symptôme plutôt que la maladie
elle-même. Par exemple en Afrique les baux sont négociés avec des organisations, c’est à
dire les Etats, qui n’ont jamais été réformé pour atteindre une légitimité auprès de leur
administrés. De tels accords de bail ne répondent pas aux problématiques des fermiers, en
particulier pourquoi les fermiers dans les pays pauvres ne peuvent produire de manière
concurrentielle pour se nourrir eux-mêmes et le reste du monde. Envoyer des fermiers
mercenaires revient à perpétuer l’idée préjudiciable que ceux qui possèdent déjà assez
doivent posséder plus et que ceux qui ne possèdent que peu doivent le céder.
L’Europe, les USA, le Japon parmi d’autres, ont reçu une série de pétitions sur l’impact
négatif de leurs subventions agricoles sur l’agriculture africaine. Depuis les
indépendances, les prix pour les produits africains, des denrées agricoles aux minerais,
ont toujours été fixés par les pays occidentaux, influençant ainsi grandement la quête
pour une croissance durable, pour une valeur ajoutée africaine et un pouvoir de
négociation. Les décideurs politiques occidentaux ont rappelé ces cinq dernières décennies
aux Africains la faiblesse du leadership sur le continent. Quelle élément fait soudain
supposer aux dirigeants occidentaux que les l’Afrique s’est enfin dotée des bons
dirigeants pour négocier ces terres avec leurs fermiers ?
Cet élan d’acquisition de terres africaines pour nourrir les populations des économies
émergentes obscurcit le fait que la famine sur le continent est un problème artificiel.
Les élites des pays développés et émergents pactisent avec les élites africaines qui ne
voient que le court terme pour déposséder les fermiers africains de la possibilité de
nourrir eux-mêmes le continent. Les fermiers africains sont privés de financements et de
technologies, et rendus esclaves de régimes commerciaux injustes qui leur rendent
difficile l’accès aux marchés nationaux, régionaux et internationaux.
La quête de location des terres africaines prouve qu’il existe une demande importante pour
le produit agricole du continent. Il est impératif que les Etats africains prenne
l’avantage de cela, non pas en louant la terre à des extérieurs, mais en fournissant un
cadre institutionnel permettant d’accroître la productivité du secteur agricole africain.
Il est aussi extrêmement urgent de revoir ces politiques foncières héritées des Etats
coloniaux de manière à donner le pouvoir aux africains d’utiliser leur terre pour leur
profit et celui du reste du monde.
L’effet de court terme de ces baux aux extérieurs sera de générer des revenus pour le
maintien des élites politiques. L’effet de long terme sera de conserver le viol
psychologique dans l’esprit de l’africain, qui lui a, depuis plus de cinq siècles, fait
croire qu’un africain n’a pas les capacités de se confronter aux défis quotidiens. EN
dernière analyse, cette folie des baux aux extérieurs prépare le continent à une autre
étape d’épisodes violents, alors que la citoyenneté du contiennent demeure spectatrice du
marché.
James Shikwati, directeur de l’Inter Region Economic Network, Kenya,
AfricanExecutive.com.
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Réponse à James Shikwati par Franklin Cudjoe
Dans son dernier article, James Shikwati tente d’éclipser une compréhension de base de ce
qui incite les populations à investir dans une économie.
M. Shikwati assume une position conspirationniste qui n’aide pas vraiment ce qui aurait dû
être son principal argument qui est que « il est impératif que les Etats africains prenne
l’avantage de cela, non pas en louant la terre à des extérieurs, mais en fournissant un
cadre institutionnel permettant d’accroître la productivité du secteur agricole africain
».
Accroître la productivité en agriculture signifie aussi la capacité d’entreprendre à
grande échelle – et non la vie agricole paysanne voire nomade dont nous faisons
l’expérience depuis la nuit des temps. Or, premièrement, les locaux n’ont pas le type de
financement pour faire cela et leurs propres Etats s’affairent à constituer des goulots
d’étranglement – par exemple par les difficultés à obtenir des actes de propriété, qui
clairement empêchent d’utiliser les terres comme hypothèque pour des prêts bancaires.
Lorsque les prêts bancaires existent, les taux d’intérêt, réglementés, sont prohibitifs. A
ce jour 60 000 litiges fonciers attendent dans les tribunaux du Ghana, parfois depuis plus
de dix ans. Cela a des chances de faire fuir les investisseurs du secteur agricole !
L’agriculture contribue à 40 % du PIB du Ghana, sans doute je pense parce qu’elle emploie
70% des Ghanéens, la plupart des paysans qui font usage de méthodes basiques de culture
mais totalisant 6 % des prêts à l’agriculture. Et à en croire certains chiffres, le reste
de l’allocation de ces prêts n’apporte pas grand chose : nous importons toujours 40 % du
riz et des volailles.
Sans doute James Shikwati appelle-t-il l’Etat à mettre de côté de nombreuses terres pour
une agriculture collectivisée. Nous avons pris cette voie tortueuse il y a cinq décennies,
avec les résultats que l’on sait. Imaginons le chaos au Kenya si l’Etat devait superviser
la redistribution des terres – sachant qu’il n’a pas encore récupéré des conflits
postélectoraux liés en grande partie à la question foncière.
En dehors de cela James Shikwati avertit les propriétaires fonciers africains de se méfier
des étrangers prétendant vouloir nourrir les affamés locaux. Mais ne vont-ils payer des
impôts et employer des locaux ? Voilà une suggestion que Meles Zinawe en Ethiopie
saisirait au vol : il a soutenu que permettre aux Ethiopiens de posséder leur terre leur
ferait la vendre aux multinationales. Il semble avoir cependant oublié un principe
élémentaire de marché : cela demande un acheteur et un vendeur à un prix sur lequel ils se
sont accordés. Si le prix en vaut la peine, l’acheteur doit avoir un projet pour rendre
cette terre rentable. Il ne faut alors pas s’étonner si l’Ethiopie dispose de 60% de
terres arables mais n’en cultive que 10%. Et bien sûr l’Ethiopie trouve l’aide alimentaire
pratique comme moyen pour contenir ses citoyens, en permanence dépendants de leur Etat.
Plutôt que de faire fuir les investisseurs, pourquoi ne pas créer des accords selon
lesquels par exemple il doivent installer au niveau local des usines de conditionnement
agricole pour ajouter encore de la valeur à leur produit. Cargil et Nestlé au Ghana sont
tenus de faire cela avec notre cacao et ils trouvent la solution acceptable. Et imaginons
les effets de ricochet simplement en termes d’emploi ! Mais évidemment j’imagine que cela
ne pourra arriver que lorsque la campagne qu’endossait à une époque James Shikwati pour
arrêter l’aide internationale, génératrice de corruption et d’absence d’état de droit,
sera entendue par les Etats occidentaux.
Franklin Cudjoe, directeur d’IMANI, Ghana, rédacteur
d’AfricanLiberty.org.