Le barrage de Kandadji, un projet de la
Banque mondiale, laisse les communautés nigériennes à sec
3 fevrier 2016
par Josh Klemm, International Rivers
En 2012, la Banque mondiale a approuvé un prêt de $203 millions
pour la construction du barrage de Kandadji, au Niger. Cela a
permis à une douzaine de financiers de compléter le paquet
financier de $785 millions pour ce projet, qui sera situé sur le
fleuve Niger. Les retards de construction suite à un conflit
avec la société engagée pour développer le projet et les
problèmes liés à la réinstallation des personnes affectés, fait
du Kandadji un projet à un avenir incertain.
Kandadji n’est pas n’importe quel projet; Kandadji a été
présenté tel qu’un projet qui produira 130 MW d'énergie
nécessaire pour la capitale, Niamey, et aussi d'exploiter le
débit de la rivière qui permettra d'élargir le potentiel
d'irrigation du Niger. Le vice-président pour l’Afrique de la
Banque mondiale, Makhtar Diop, a décrit le projet comme « un
projet de développement transformationnel qui offrira un nombre
considérablement plus important d’opportunités aux communautés,
plus de nourriture, d’eau et d’électricité, et qui réduira la
pauvreté dans la région la plus pauvre de l’Afrique ».
La Banque mondiale a également pris soin de planifier le coût
humain de la construction du barrage. Conscient de
l'héritage
troublé des impacts que tels projets ont sur les communautés
déplacées, la Banque mondiale a entrepris la tâche
herculéenne de superviser le processus de réinstallation de plus
de 38.000 personnes situées aux alentours des rives fertiles du
fleuve. Le paquet de compensation comprendrait, la
réinstallation des agriculteurs traditionnels dans des nouvelles
maisons, offrir l’accès à l’irrigation, et le partage des
revenus pour les projets de développement local.
Le processus a commencé en 2012 avec la réinstallation d’une
première vague, d’à peu près 5500 personnes. Au début, beaucoup
étaient optimistes quant aux avantages promis relatifs au
projet, mais cet enthousiasme fut de courte durée. Alors que
certains ont vu leurs conditions de vie s’améliorer, les plans
d'irrigation des communautés réinstallées ont été mal conçus -
sans surprise, la Banque mondiale elle-même a noté que ce genre
de système d'irrigation fonctionne rarement en Afrique. La
Banque mondiale a reconnu les difficultés du processus de
réinstallation, en notant que « la délocalisation en cours pour
la première vague reste considérablement retardée, et
nécessitera d'importantes mesures d'amélioration ».
Entretemps, de nombreuses communautés déplacées ont du mal à
accéder à l’eau potable, ainsi
indiqué
dans un nouveau documentaire du processus de réinstallation.
Dans ce documentaire, Haoua Harouna, dans la communauté
d'accueil de Gabou, dit: « Cela me fait trois jours que je
cherche de l’eau, en vain. J’ai soif. Je n’ai pas trouvé à
boire. Mes amis non plus. L’eau est insuffisante pour la
population. Ce problème dure depuis longtemps, et même dans les
villages voisins où nous nous approvisionnions avant, l’eau est
devenue de plus en plus salée. Elle est imbuvable ».
La première vague de réinstallation était prévue comme un essai
pour un groupe plus large de 33.000 personnes qui attendent leur
tour, une fois la construction du barrage commencée. Remplies
d’anxiété, ces communautés attendent d’être déplacées, comme
retracée dans le documentaire. « Nous avons vu ce qui s’est
passé pendant la première vague. Il y a eu beaucoup des fautes
commises lors de la première vague. Nous ne voulons pas que ces
mêmes fautes se répètent avec nous. Déplacer une population sans
eau. Déplacer une population sans infrastructure. Tout ça ce
sont des choses que nous ne voulons pas voir se répéter chez
nous », dit Mohamed El Bachir, le chef de canton d’Ayorou, d’où
la population devrait être déplacée. « Nous ne savons toujours
vers où nous serons déplacés ».
Il n’est pas le seul. Des rapports informels ont soulevé des
inquiétudes qu'il n'y a pas suffisamment de terres pour
réinstaller les 33.000 personnes restantes, et que toutes les
bonnes terres de la région ont été distribuées au cours de la
première vague. Selon certaines sources, le consultant qui
aurait préparé le rapport de faisabilité ne s’est jamais assuré
que les terres arables mises à part par le gouvernement seraient
suffisantes. Ce serait un coup dur pour ces communautés qui,
depuis plusieurs années ont mis leur vie en suspens, en attente
de la réinstallation. Ce serait aussi une violation majeure de
la politique de la Banque mondiale, et compromettrait
les
efforts déployés récemment par la Banque pour remédier les
défaillances systémiques dans le traitement de la
réinstallation. En fin de compte, on ne sait pas où ces
communautés iraient, par contre il est très probable qu’ils
finissent dans les bidonvilles de Niamey.
Les problèmes de réinstallation à Kandadji ont été aggravés par
une série de défis opérationnels qui ont mis en doute l’avenir
du projet. Il y a eu des retards dans l'identification d'une
nouvelle entreprise pour construire le barrage après que le
gouvernement ait annulé le contrat avec le promoteur russe, car
ce dernier n'a pas respecté ses engagements. En même temps,
l’impatience des bailleurs de fonds se fait sentir, dont les
prêts restent non décaissés.
Face aux échecs persistants du gouvernement à atteindre les
étapes clés en matière de réinstallation, et en plein
examen rigoureux
du bilan de réinstallation de la Banque mondiale, cette
dernière explore l’option de se retirer. Qu'est-ce que cela
signifiera pour l'avenir du projet, et même si d'autres suivent
l'exemple de la Banque, tout cela n’est pas clair. Dans tous les
cas, le retrait serait une maigre consolation pour les dizaines
de milliers de nigériens dont les vies ont été perturbés.
Entre-temps, la Banque mondiale soutient la préparation du
barrage de Fomi en Guinée près des cours supérieurs du Niger,
plus de 2000 km en amont de Kandadji. Cela va exiger qu’environ
50.000 personnes soient déplacées du site, avec
plus
d'un million de personnes qui seront touchées par le barrage
en aval au Mali. Fomi ferait face au même ou plus grands
défis que Kandadji.
Quoi qu’il en soit, la Banque mondiale semble incapable
d'apprendre de ses leçons durement apprises, et pour toutes les
innovations de la Banque, les communautés affectées par les
barrages se retrouvent habituellement dans des situations pires.
Kandadji, un autre modèle de barrage de la Banque mondiale
devient de plus en plus moins attrayant.